Souvenirs équatoriaux
Comment peindre les souvenirs de voyages et séjours exotiques, des forêts équatoriales et savanes, d’autant plus lointains et essentiels qu’ils furent de l’enfance ? Non pas ici par des images hyper réalistes à la manière des films ou des photos, mais par des bribes d’images entrelacées capturées entre la mémoire et l’imagination. La trame réaliste s’étant disloquée, peindre ces survivances est alors défi tant la mémoire rationnelle s’évanouit avec le temps et semble disparaître à mesure qu’on se concentre sur elles. Peindre de tels souvenirs, c’est essayer de rendre visibles des associations mnésiques improbables et les organiser en systèmes complexes plus devinables qu’identifiables. Ainsi les peindre, c’est tenter de remémorer des émotions d’un vécu flou qu’on cherche à se rappeler et qu’on reconnaît à peine ou qu’on transforme sans être sûr qu’ils soient authentiques. C’est peindre alors en automatismes dépourvus de symbolisme et d’allégories, juste peindre au vol des images capturées dans le fond d’un imaginaire chaotiquement résurgent. C’est jouer avec les failles d’une mémoire qui ruse avec l’oubli et calcule son retour en contractions iconiques aléatoires, tant celles du réel d’autrefois sont maintenant malaxées et reconfigurées en débris dans le complexe des associations d’accidents d’extases et de frayeurs résiduelles.
Les peindre matériellement, c’est alors fixer à la va comme se peut des matins brûlants couleur safran et les crépuscules or et écarlates. C’est alors peindre des vols d’oiseaux multicolores dans les fouillis de verdures émeraude qu’allument les saisons des pluies, c’est fixer en rouge vermillon des traces éclatées de sensations exaltées par les eaux saphir bouillonnantes des Dieux-Fleuves où roulent tumultueusement des écumes de perles et d’ambres, flots bleu cobalt, où viennent boire félins jaunes, antilopes brunes, girafes ocre et autres créatures magiques si souvent sacralisées en fétiches. C’est peindre l’eau en vert turquoise, le ciel en orange de cadmium, les frondaisons en bleu phtalocyanine. C’est arrimer en éclats visuels des mousses grésillantes, des orchidées iridescentes, des manguiers fluorescents, autant de couleurs brutes qui se télescopent dans des entrelacs de fragments végétaux indécidables où se devinent des rameaux vert réséda aux reflets mordorés.
Nulle autre possibilité de peindre ces mnésies qu’en série. Ainsi, la série est-elle ici une restitution qui n’est possible que sous formes de suites de chaos paradoxalement ordonnés mais jamais finis, une succession délirante de ramifications sensorielles vitales, une suite d’échantillons dissonants où se répondent réflexions flottantes et associations incertaines de signes confusément reviviscents et toujours insaisissables. La série complète, rature ou spécifie l’anamnèse en tentant indéfiniment la reconstruction des souvenirs des goûts épicés, des sens fascinés, des ensorcellements affectifs. Peindre ainsi, c’est finalement une façon de lutter contre l’oubli, l’érosion des sentiments enfantins et en retrouver les émotions poétiques.